Covid 19 : L'indemnisation des victimes ?

La SCP Hartemann-Palazzolo
est un cabinet d’avocats de compétence judiciaire.

Covid-19 : L’indemnisation des victimes ?

Près d’un an après le début de la pandémie liée à la Covid-19, de nouveaux enjeux juridiques apparaissent.

L’émergence soudaine d’un virus inconnu a également bouleversé une partie des certitudes scientifiques.

Face à un bilan humain lourd, cette situation a engendré une vague d’interrogations quant aux dysfonctionnements de nos services de santé.

Aujourd’hui, les familles endeuillées ou abîmées par des formes graves de Covid s’interrogent sur leur prise en charge et celle de leurs proches.

Notre Cabinet a rapidement été confronté à ces nouvelles problématiques. Comment les règles de la responsabilité médicale classique peuvent-elles être adaptées à ce contexte sanitaire si particulier ? Quelle prise en charge juridique offrir aux victimes ?

L’application du droit de la responsabilité médicale

L’essentiel des dossiers ayant trait à la Covid-19 interrogent quant à la qualification d’infection nosocomiale lorsque le virus est contracté au sein d’un établissement de santé. La reconnaissance de la qualité d’infection nosocomiale permet d’obtenir une indemnisation au titre de la solidarité nationale ou par l’assureur de l’établissement de santé selon le taux d’atteinte à l’intégrité physique ou psychique de la victime.
Dans un arrêt du 23 mars 2018, le conseil d’État précise ainsi la définition de l’infection nosocomiale :
« Présente un caractère nosocomial une infection survenant au cours ou au décours de la prise en charge d’un patient et qui n’était ni présente, ni en incubation au début de celle-ci, sauf s’il est établi qu’elle a une autre origine que la prise en charge. » (CE, 23 mars 2018, n°402237)
Le principe indemnitaire repose sur un régime de responsabilité de plein droit, l’existence d’une faute n’a pas à être prouvée par les victimes. Néanmoins, il convient de prouver que l’infection est imputable à un acte de soin, de diagnostic ou de prévention et de démontrer le caractère nosocomial de l’infection.
A l’heure actuelle, le Cabinet a pu expérimenter la pratique des expertises médicales dans le cadre des infections nosocomiales liées à la Covid-19. Le débat instauré par les experts n’est pas toujours accessible pour les victimes ; l’assistance d’un Conseil est primordiale aux fins de faire admettre cette qualification d’infection nosocomiale.

La reconnaissance d’une faute dans la prise en charge des victimes, ou d’un défaut dans l’organisation des soins, fait également partie des enjeux actuels. Toute la difficulté de la reconnaissance d’une faute est liée au contexte spécifique de la Covid-19 et aux incertitudes auxquelles ont dû faire face les professionnels de santé. Le défaut d’organisation des soins peut se traduire par le manque d’équipements de protection pour les professionnels de santé. C’est une situation à laquelle ont été confrontés certains de nos clients. Certaines contaminations à la Covid-19 interrogent au regard du manque de moyens humains et matériels.

Au-delà de la difficulté de l’exercice du métier de soignant lors de cette crise sanitaire, certains défauts de prise en charge interpellent. Le Cabinet a été confronté à plusieurs dossiers pour lesquels les fautes sont caractérisées. Cette crise sanitaire a notamment engendré un contentieux important autour de la prise en charge des patients par le Service d’Aide Médicale d’Urgence (SAMU). De nombreuses familles ont été confrontées à des refus de prise en charge par le SAMU, entraînant des retards importants dans les soins et des conséquences gravissimes. L’argument selon lequel les soignants n’avaient pas une parfaite connaissance de cette pathologie au début de la crise sanitaire n’est pas contesté, toutefois les équipes médicales avaient quand même certaines connaissances et des protocoles avaient été mis en place ; ces mesures auraient dû être respectées. La reconnaissance de ces fautes permet d’établir une perte de chance d’avoir été pris en charge dans de bonnes conditions.
D’autres types de fautes peuvent également être retenues. Cette crise sanitaire a notamment mis en avant le rôle des médecins généralistes dans l’évaluation des premiers symptômes, les choix qui ont pu être faits par les équipes en réanimation, les traitements proposées aux patients…

En outre, l’apparition de la Covid-19 a soulevé de nombreuses problématiques éthiques. Les familles ont parfois été confrontées à des difficultés de communication importantes avec les établissements de santé. Rappelons que le malade comme le défunt, a droit au respect de sa dignité humaine.

L’indemnisation des préjudices

Malheureusement, la reconnaissance de l’infection nosocomiale ou d’un défaut dans la prise en charge ne constitue que la première partie du long chemin d‘indemnisation des victimes et leurs familles. Aujourd’hui, les victimes du coronavirus ou les familles de personnes décédées restent seule face à leurs préjudices, leurs séquelles permanentes et, parfois, la souffrance causée par la perte brutale d’un être cher. Commence alors la seconde partie du processus d’indemnisation : la liquidation des préjudices.

Pour ce faire, l’avocat a recours à la nomenclature Dintilhac, il s’agit d’une grille de préjudices élaborée en 2005 par le groupe de travail dirigé par Monsieur Dintilhac, président de chambre à la Cour de cassation. L’intérêt d’une telle grille est de n’omettre aucun préjudice tout en apportant une certaine égalité entre les victimes. Néanmoins, l’appréciation des préjudices doit toujours se réaliser in concreto, c’est-à-dire en considération de la réalité subjective des personnes. Chaque être humain est unique et présente des particularités qui doivent être prises en compte lors de l’évaluation des préjudices.

Traditionnellement, la nomenclature Dintilhac distingue les préjudices extra patrimoniaux, relevant de l’atteinte à l’être (souffrances endurées, préjudice sexuel etc.), des préjudices patrimoniaux, évoquant l’atteinte économique (perte de gains, tierce personne etc.). Les jurisprudences en la matière évoluent continuellement pour approcher le plus justement la réparation intégrale : replacer la victime dans la situation qui était la sienne avant l’accident en cause. Malheureusement, s’agissant des préjudices extra patrimoniaux, touchant à l’être et l’atteinte aux sentiments, la réparation apparait toujours faible au regard de la gravité de la situation.

S’agissant du cas particulier des personnes décédées de la Covid-19 et dont la prise en charge apparait contestable ou relevant d’infection nosocomiale, les familles des victimes peuvent agir. Il conviendra, dans un premier temps, d’obtenir le dossier médical de la victime pour mettre en exergue toute responsabilité. En vertu du code de la Santé publique, les ayants droits de la victime peuvent solliciter communication d’une partie du dossier médical. Dans un second temps, il sera possible d’obtenir l’indemnisation des souffrances liées à la perte d’un être cher : le préjudice d’affection. Pour ce faire, les victimes doivent justifier d’un lien d’affection avec la victime décédée. Des photos et attestations permettent habituellement d’objectiver l’existence de ce préjudice.

Enfin, Concernant le retard ou défaut de prise en charge, l’indemnisation s’apprécie en fonction de la perte de chance. En effet, l’incertitude dans de tels cas persiste puisqu’il n’est pas certain que l’issue de la prise en charge aurait été différente sans faute. C’est pourquoi les magistrats ont introduit la notion de perte de chance qui permet d’obtenir un pourcentage d’indemnisation de l’ensemble des séquelles présentées par la victime. En matière médicale, la perte de chance d’avoir des séquelles moindres ou de survivre est applicable en trois circonstances : le manquement au devoir d’information, les retards d’intervention et les diagnostics erronés ou tardif. Dans le contexte particulier du coronavirus, la perte de chance sera une notion cardinale de l’indemnisation des victimes et leurs familles.

Pour conclure, il apparait avec évidence que des manquements ont pu être constatés dans les prises en charges lors de la crise sanitaire du coronavirus. S’il est certain qu’une grande part de ces défauts relèvent des incertitudes liées à l’apparition d’un virus jusque-là inconnu, certaines décisions demeurent contestables. Les séquelles aujourd’hui supportées par certaines victimes, le traumatisme psychologique engendré par l’incapacité du système de santé à assurer une prise en charge correcte, et parfois, la perte brutale d’un être cher, sont des situations qui amènent à s’interroger et, parfois, à engager des procédures d’indemnisation.

 

Yves HARTEMANN, Avocat associé

Perrine CHAMPAVERT et Laurène GRIOTIER

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